Concours de nouvelles 2015 > découvrez les nouvelles lauréates !
Le 7è Festival du Livre de la Canebière s'est clôturé dimanche 7 juin 2015 à bord du Don du vent par la remise des résultats de ce concours.
Cette année, le jury était composé d'une bibliothécaire, d'une libraire, d'un éditeur et d'adhérents de Couleurs Cactus. Il était présidé par Cédric Fabre, auteur et journaliste.
67 nouvelles ont été reçues et lues par le jury, et parmi ces nouvelles 10 ont été sélectionnées pour être soumises au président.
Le jury a noté l’intérêt de l’histoire, de la forme, ainsi que l’originalité et la conformité au thème proposé, à savoir Désir(s).
Vous pouvez découvrir ci-dessous les cinq premières nouvelles.
- 1ère nouvelle lauréate : En lavoir ou pas de Juliette Albinovanus Bouly
- 2è nouvelle lauréate : Sans s'en rendre compte de Cédric Guilleray
- 3è nouvelle lauréate : Collisions de Olivia Pierrugues
- 4è nouvelle lauréate : 36 heures dans la vie d’Anne Vincker de Laurence Allard
- 5è nouvelle lauréate : Le vallon du silence de Hélène Katsaras
D'ici la fin de l'année, ces nouvelles feront l'objet d'une édition - nous attendons toujours des réponses à nos demandes de financement - et d'une lecture par un(e) comédienne (cette lecture n'ayant pu avoir lieu le 7 juin faute de budget)
Bien sur, nous vous tiendrons informés de la date de la parution de ce recueil et de cette lecture.
Nous vous souhaitons une belle lecture !
1ère nouvelle lauréate
En lavoir ou pas
de Juliette Albinovanus Bouly
Je vivais tranquille, en soliste. Ma timidité ne nuisait à personne. Vingt-deux ans de marche sur la pointe des pieds, la casquette vissée sur des oreilles à la Gainsbourg. Je progressais, myope et rêveur, flanqué d’un double que je m’étais inventé tout gamin. Il dressait une barrière naturelle entre moi et les emmerdements que me valait mon silence expressif. Il osait par exemple tenir tête aux tyranneaux des guichets auxquels personne n’échappe. Plein d’ambition à mon égard, il me poussa à m’inscrire aux cours du soir d’une Académie de musique. Malgré ses efforts, j’étais mal barré pour les coulisses de l’exploit. Je me contentais donc des petits plaisirs qu’offre la vie au jour le jour. Une balade constituait une œuvre forte, un défi à la solitude, une aria pour homme seul et accordéon.
Ce matin-là, lesté de mes sacs, je jetai un regard furtif dans le salon-lavoir pour voir s’il y avait du monde.
Sur cette terre sauvage ne reposaient que quelques migrantes aux plumages rutilants. Accompagnées de leurs enfants, elles dégustaient des friandises et me donnaient l’impression de vivre là tant elles étaient installées. Dans le fond du salon, une dondon déjà amidonnée actionnait la repasseuse, l’air docte.
A droite, un distributeur automatique proposait des pesticides destinés à éradiquer toute trace nuisible. A côté trônait un agent de change aux taux variables, selon le coup de poing plus ou moins viril qu’on lui assénait. A gauche, une splendide rangée de machines à laver, toutes capables, vibraient comme des coureuses de fond sur leur ligne de départ.
Aux prises avec la fermeture du hublot, à croupetons, je la regardais. Elle qui venait d’entrer pour rejoindre la tribu.
Mon double me donna un terrible coup à l’estomac qui me propulsa dans un état second, je failli en avaler le jeton encore fiché entre mes dents.
Saïda traînait une manne à linge vers le séchoir. Je me mordillais les ongles, observait ma Fatma, aérienne dans ses jeans ajourés comme des stores vénitiens. Stupéfiant le sourire qu’elle possédait ! Fin prêt à souscrire un bon d’essai sans expiration, j’acceptais d’emblée de vivre avec elle toutes les crises familiales.
Subjugué, j’enfonçai machinalement la touche « start » sans programmer la température.
Jusqu’ici mes amours ne valaient pas la peine d’esquisser un tango. Je me trouvais mille raisons pour éviter les tables de conversation entre deux draps molletonnés. Je gardais du couple une idée fixe. Quand j’étais môme, ma mère a dit un jour : « Ton père et moi point final. » Mon père a dit : « Ta mère est dingue point final. » Il allia le geste à la parole, bouscula ma petite ferme et rendit infirme ce qui restait des couples de la basse-cour.
Depuis, lorsque l’instit’ ponctuait « point final », je me jetais sur le sol de la classe en hurlant, handicap pour la suite de ma scolarité. Mon père saisit la traîne d’une dame qui passait et l’allais, chez ma grand-mère, croître dans l’indignation sublime de n’avoir rien à ajouter puisque tout était dit.
Comme ma princesse berbère portait un sweet à l’effigie de « Gone with the Wind », je sortis de ma veste le « Ciné-Revue » de la semaine et guettai les soupirs venus de son royaume. Pour captiver ses plus beaux jours, il me faudrait cueillir un bouquet sans épines, franchir la ligne Nord-Sud, danser les pas d’un oiseau de paradis.
Il ne restait que quinze minutes avant l’arrêt de la machine. L’apparition de la demoiselle gommait tous les « point final ». Je me devais de poser des actes.
Ce fut le moment choisi par une bande de jeunes, pressés d’avoir dix-huit ans, pour planter leur théâtre de rue dans la touffeur de notre antichambre. Leur démarche tenait de la démangeaison et leur trajectoire indéfinie visait une cible incertaine.
Le plus jeune, à peine douze ans, se colla à la repasseuse et fixa la dondon qui replia sa nappe du dimanche subito. Un deuxième transforma un Zippo en lance-flammes et soumit le distributeur de billets à la question. L’échantillon de ces ressources humaines, en peloton serré, posa son derrière sur la table de pliage, étalant ses connaissances anatomiques (« trou, bite, poils… »). L’unique sage, replié en fœtus, les écouteurs cousus à sa casquette, rappait de tous ses membres un techno privé.
Avoir des enfants, ça ne m’était pas encore venu à l’idée. Je n’arrivais pas à définir à quoi cela ressemblait. Allait-on transformer mon patrimoine génétique à ce point ? Mes spermatozoïdes paisibles, rêveurs, imaginatifs et bons musiciens produiraient-ils des enfants perdus dans le tourment de l’ennui ?
Les jeunes ados s’en allèrent comme ils étaient venus.
Je retournai alimenter les feux de l’amour. Mon double, impétueux et fonceur, quitta, sans que je l’y eusses autorisé, notre siège pour offrir à la petite sœur de ma princesse un spéculoos, glissé dans ma poche depuis le café du matin. La fillette refusa le cadeau et se réfugia sur les genoux de Dounia.
Ma fiancée examina l’émissaire sur toutes les coutures, le sourire en coin. Ce sourire-là provoqua un effet de serre si puissant que les oreilles de mon ambassadeur lâchèrent leur monture de lunettes. Il les cueillit au vol, les rattrapa de justesse avant que les verres Varilux ne soulignent le pouvoir super-attractif de ses sandalettes en caoutchouc.
A ce stade de notre voyage, nos facultés d’évoluer sur le plan matrimonial s’avéraient nulles.
Qu’elle me paraissait bien triste, mon histoire d’amour ! Des pluies diluviennes s’abattaient en rafales sur l’encre du parchemin qui nous aurait liés pour la vie.
Mon alter ego vint me prendre la main et nous nous rassîmes sur le tas de briquaillons, bien sec, que serait notre existence sans Elle.
Je lançai un nouveau tour de court-bouillon sur mes lainages et chargeai mon infatigable ami de trouver une idée plus fine pour établir la communication.
Dubitatif, je suivais la mise en place d’une caméra de surveillance. L’opération mettait en effervescence le petit groupe de ces dames en djellabas. Flatté de l’intérêt suscité par son gadget, le patron du lavoir laissa libre accès au cagibi où se dissimulait le récepteur d’images. Je profitai de l’exaltation générale pour jeter mon « Ciné-Revue », ouvert à la page programmes télé du jour, sur le banc pour le moment déserté.
En marge de toute possession terrestre, il me plut d’interpeler le patron sur le désir qui le tenaillait de photographier les bébés vandales de son quartier. L’homme s’empourpra, haussa le ton, gesticula comme le gendarme de Polichinelle. Enfin il s’écria : « Après tout, mon petit monsieur, ce n’est pas vous qui êtes propriétaire de lavoirs ! ». L’inflation mondiale, la fuite des capitaux, les spéculateurs de tous bords, la corruption, le grand banditisme, les trafiquants d’armes, de drogue, d’hormones, de chair humaine, les nouvelles hordes barbares qui submergent notre monde en toute impunité n’avaient qu’à bien se tenir.
Je me rassis et croisai le regard des mille-et-une nuits de Farida. Il me sembla, l’espace d’une fraction de seconde, qu’elle me remarquait, mais elle épluchait le programme TV.
La béatifiant du regard, je me promenai de ses belles jambes allongées à ses cheveux en vasque d’ébène.
Pourquoi étais-je venu en ce jour de plein été faire transpirer une machine de pulls polaires ?
Parce que je devais la rencontrer !
Je dressai le bilan de mon avancée vers l’univers nuptial. De un : j’en étais fou ; de deux : elle aimait la télé comme moi ; de trois : elle aimait le ciné comme moi ; de quatre : nous étions nés tous les deux bien après que l’homme ai marché sur la lune et que nous en soyons redescendus ; de cinq : elle avait des goûts simples comme moi ; de six : elle venait d’une famille nombreuse et saurait me définir ce qu’était un enfant. De sept : elle avait fait dérailler tous les « point final » de ma vie. Une raison par jour pour fixer la date de notre union. Je gambergeai si bien que j’envoyai mon double effectuer notre petit marché de noce au souk le plus proche. Couvre-lit de satin blanc, peignoirs assortis, babouches dorées… Pas de shilom : j’avais arrêté de fumer la semaine d’avant. J’entendais les derboukas de la fête, je humais les effluves d’un méchoui d’enfer. Neuf mois plus tard, Salima me définissait ce qu’était un enfant puisque nous en avions deux de sexes différents. En bon père, j’ajoutai des couffins à la liste des commissions quand mon ange gardien me parla d’un tapis de prières. Les religions, j’avoue ne pas y avoir pensé à celles-là !
Je me morfondais. A quoi bon avoir soigné la décoration si nos dieux se regardaient en chiens de faïence ?
Petits anges catholiques nés dans le Brabant wallon, mon acolyte et moi ajustâmes nos ailes. Pas de panique ! Si Allah aimait l’accordéon, nous avions encore une chance.
Remembrement des familles : voisines, tantines, cousines venues apporter un supplément de matières premières, s’étaient jointes à la partie de bulles.
Aïcha disparut de ma vue, emportée par le tourbillon des draps que l’on enfournait, défournait, étendait, lissait, secouait, repassait, triait et pliait. Tout cela pépiait : chaleur, voix de roses des sables et rires gutturaux.
Où est-elle ? Où es-tu, Naïma, ma reine de Saba ? Pèlerin amoureux, je traverse des contrées hostiles. De nouveaux croisés y lèvent une armée de haine, égorgent, violent, éventrent au nom de Dieu. Je m’arrête, suffocant. Vais-je la sauver ? Où retrouver ma perle du désert ?
Aucune certitude.
Mirage. Dans la fraîcheur d’une oasis perdue repose le sourire de Karima.
Chancelant, je me dirigeai vers la machine et tentai de désincarcérer ce qui restait de ma garde-robe d’hiver.
Une main fraîche se posa sur mon bras brûlant.
Une voix juvénile se posa sur mon front brûlant.
« Je crois que ce magazine est à vous. Je vous ai entendu répondre à ce maniaque tout à l’heure. Je m’appelle Latifa et vous ? ».
2ème nouvelle lauréate
Sans s’en rendre compte
de Cédric Guilleray
Samedi soir, novembre, Lille. Il fait froid. Mais est-ce utile de le préciser ? Les hivers dans le nord ne sont jamais cléments. Il paraît que l’on pleure deux fois dans la région : lorsqu’on y arrive et lorsqu’on en part. Elle n’est pas encore partie mais elle a déjà pleuré son quota. Plutôt deux fois qu’une. Elle traverse la Grande Place d’un pas rapide. Non pas qu’elle soit pressée, pour quoi faire ?, mais parce que le vent mordant transperce son manteau. Ses mains sont profondément enfoncées dans ses poches. Elle passe à côté de la Grande Roue, sans la voir. Ses pas la guident dans le vieux Lille. Elle croise des gens. Elle voit des lumières. Elle entend du bruit. Elle se sent un peu mieux. A défaut de chaleur humaine, il lui faut de la chaleur artificielle. Les néons. L’alcool. L’illusion de faire partie du monde. Pas du monde, d’un monde. Elle se moque duquel. Elle pousse la porte d’un bar quelconque. Il y a beaucoup de jeunes, une foule bruyante qu’elle fend du pas assuré qu’elle ne possède pas. Elle ne remarque pas les regards sur son passage. Quelques-uns désapprobateurs, elle bouscule sans s’en rendre compte ; la plupart admiratifs, elle est très belle, toujours sans s’en rendre compte. De manière générale, elle ne se rend pas compte. De manière générale seulement, car ce soir, particulièrement ce soir, la solitude s’est rappelée à son mauvais souvenir. Elle a nourri son chat. Elle a verrouillé la porte de son studio. Elle a marché.
Elle s’installe au comptoir. Elle commande un verre à boire. Ca qu’elle commande, "un verre à boire". Le barman la regarde sans comprendre. Elle sourit. Soit parce qu’il la croit stupide, soit parce qu’il s’en moque, sûrement parce qu’il s’en moque, il lui sert un verre de vodka. Le sourire était triste. Il ne s’en est pas aperçu. Elle place ses mains autour de son verre. Une habitude qui ne réchauffe pas. Rien ne réchauffe dans le nord. Les gens ont beau avoir « dans le cœur le soleil qu’ils n’ont pas ailleurs », il fait froid. Cette chanson est stupide. La musique qu’elle entend autour d’elle ne vaut guère mieux. Les basses sont violentes. Elles étouffent la mélodie et font désagréablement battre son cœur. Ca faisait longtemps. Son cœur est sec. Son lit est vide. Sa vie est triste. Elle demande un autre verre. Un homme l’aborde. Il est jeune. Il est beau gosse. Il le sait. Elle l’éconduit. Elle croit en l’amour, le vrai. Celui qui ne se rencontre pas dans un bar. Elle demande un autre verre. Elle trinque à sa santé. Encore, encore. Tellement qu’elle se dit qu’elle va vivre centenaire. Cette perspective la glace. Elle commande encore un verre.
C’est en relevant la tête qu’elle l’aperçoit,
là,
en face d’elle,
de l’autre côté du comptoir,
le barman entre elles deux.
Elle, oui, c’est une « Elle ».
Elle s’en étonne. Ce n’est pas parce qu’elle éconduit les jeunes coqs présomptueux qu’elle n’est pas sensible à leurs charmes. Elle ne veut plus réchauffer son lit avec des corps de passage mais c’est bien de corps masculins dont il s’agit. Peut-être est-ce l’alcool mais la jeune femme qui lui fait face est d’une beauté qui la touche. Une beauté qui la séduit. Une beauté qu’elle a envie de posséder. Dans ce bar encombré et bruyant d’une ville qui ne l’a pas adoptée, elle désire une femme. A sa décharge, cette dernière est sublime. Elle est blonde, cheveux longs, lâchés sur des épaules dénudées par une robe noire qui n’est plus de saison et dans laquelle la jeune succube doit avoir froid. Elle aimerait bien la réchauffer. Cette pensée masculine qui vient de jaillir dans son esprit lui fait peur. Qu’est-ce qui lui arrive ? Elle se perd à nouveau dans la contemplation de la belle inconnue pour ne pas avoir à réfléchir. Ne pas réfléchir pour ne pas repartir. Le décolleté est audacieux, captivant. Les yeux, rivés aux siens, sont verts. Rivés aux siens ! Gênée, elle se plonge dans la contemplation de son verre vide. Pour se donner une contenance, elle en commande encore un. Elle voudrait se noyer dedans. Elle a chaud. Elle a mal au ventre. Elle a toujours cru, ça qu’on lui a appris, que c’est au cœur que la foudre frappe. C’est pourtant dans son ventre qu’elle a mal. C’est là que vient de se loger un désir qui la dépasse. Elle se dit que le mieux à faire est de rentrer chez elle. Elle se lève. Elle se rassoit. Ses jambes ne la portent plus. Son corps la trahit. Le barman vient de s’interposer entre elle et l’objet de son nouveau désir, de sa mâle convoitise. C’est le moment de se ressaisir. Elle prend son sac. L’ouvre, farfouille dedans, calmement d’abord puis, très vite, désespérément. Elle se surprend à chercher son rouge à lèvres. Elle se fait peur. Elle panique. Est-ce parce qu’elle ne le trouve pas ou parce qu’elle le cherche ?! Elle fait tomber son sac. Elle ne le ramasse pas. Elle ne sait pas quoi faire. Pour plaire aux hommes, elle est armée. Elle se maquille, elle croise haut les jambes, elle sourit. C’est simple. C’est efficace. Mais pour plaire à une femme ? Elle ne saurait pas faire. Elle en a envie, mais elle ne saurait pas faire. Lui parler, peut-être, mais ensuite ? La complimenter, la faire rire, lui prendre la main, la raccompagner chez elle, l’embrasser et après ? Ce désir qui la taraude, cette envie qui lui dévore le ventre, que va-t-il exiger d’elle ? Ne pas réfléchir. Elle verra. D’abord l’approcher, la toucher, sentir ses cheveux et caresser ses seins. Elle pense en homme. Ça qu’elle doit faire, penser en homme. Que ferait un homme dans sa situation ? Il lui offrirait un verre. Elle interpelle le barman. Lui demande un verre, pour elle, et un autre, pour la jeune femme assise en face d’elle. Il la regarde, interloqué. Une femme qui offre un verre à une inconnue, ça le choque. Qu’il se rassure, elle n’est pas non plus très à l’aise avec cette idée. Pourtant, elle sourit. Il hausse les épaules. Il leur sert la même chose. La beauté la regarde, le sourire aux lèvres. Elle lève son verre. Elle fait de même. Elles trinquent de loin en se dévorant des yeux. Le désir semble partagé. Elle ne sait pas si elle doit en être soulagée. Et maintenant, que faire ? Se lever, lui parler. Il lui faut du courage. Elle finit son verre d’une seule gorgée. Nouvelle tentative de se lever. Nouvel abandon de ses jambes. Elle commande encore un verre. Il lui faut du courage, de l’équilibre et un peu de temps. Elle boit lentement. Jette des coups d’œil, qu’elle espère discrets. La belle inconnue ne va pas l’attendre toute la nuit. Si ça se trouve, elle s’est déjà lassée. Puisque c’est une femme qu’elle désire, c’est en homme qu’elle doit agir. Elle repose son verre d’un geste violent. Le bruit la fait sursauter. Elle essuie ses lèvres avec le dos de sa main dans un geste ample et viril. Elle est ridicule. Elle rit. Elle descend de son tabouret en s’accrochant en comptoir. Elle respire profondément. Elle ferme les yeux pour se concentrer. Mauvaise idée. Sa tête tourne. Elle rouvre les yeux. Sa proie est toujours là. Elle la regarde. Elle l’attend ? Elle tente de s’en convaincre. Elle se met difficilement en mouvement. Elle s’appuie lourdement au bar sous le regard amusé du barman. Elle bute sur des tabourets qu’elle n’ose pas contourner. Elle les repousse. Elle en fait tomber un. Heureusement, l’heure est tardive. Les jeunes sont partis en discothèque. Elle se donne en spectacle, certes, mais le public n’est pas nombreux. A mi-parcours, elle cherche des yeux son « Elle ». Elle a quitté sa place. Elle ne la voit plus. Elle la cherche des yeux, affolée. Il ne faut pas qu’elle soit partie. Elle arrive. Elle n’est plus très loin. Elle ne sait pas encore ce qu’elle va lui dire mais elle veut lui parler. Soudain, elle l’aperçoit. Elle pousse un soupir de soulagement. Elle vient à sa rencontre. Elle se remet en mouvement. Elle se rapproche. C’est cliché, c’est commun, mais son cœur s’emballe. Elle s’arrête à deux pas d’elle. Elle ouvre la bouche mais ne sait pas quoi dire. Sa beauté lui coupe le souffle. La force de son désir lui fait monter les larmes aux yeux. Elle est impuissante, enfermée dans son corps. Comme une noyée, elle lève le bras pour s’accrocher à elle, pour ne plus être seule, pour survivre.
Sa main se pose sur la surface lisse et froide d’un miroir.
3ème nouvelle lauréate
Collisions
de Olivia Pierrugues
« Se peut-il qu’il y ait chez ces malheureuses
un si funeste désir de lumière ? »
(Virgile)
Août ralenti d’un village du sud, son néant effrayant, de chaleur enveloppant un tout silencieux. On croirait presque entendre la mer. Jusqu’aux chapelles sont en vacances. La course ne doit commencer que dans quelques heures, afin d'éviter l'accablement du soleil sur les gradins. Le lit est blanc, défait, d’une place, contre la fenêtre, ouverte, les volets baissés à trois quarts. Elle est assise au coin du lit, les cheveux décoiffés mais attachés, assez longs pour retomber sur son dos, dans l’espace nu laissé par sa robe simplement noire. Elle se penche pour mettre ses talons noirs, neufs, jouir de leur pression, d’être serrée. Elle se lève, fait un pas, deux pas, avant de retourner sur son lit, de se déchausser, de ranger les talons dans le tiroir. Elle se rendort un peu, il n'est pas encore l'heure.
Un peu plus tard sur le seuil de la porte, la robe et les talons noirs, le détail rouge qui pourrait être placée ici ou là, qu'importe. Elle sort.
Au café elle est assise en face de l'amant, plus âgé, perdant quelques cheveux. Ils ont déjà parlé, se sont déjà échangés des mots sur des serviettes. Curieuse, car à chaque fois elle oublie son visage, lui comme une masse dont elle pourrait s'écoeurer, elle a hâte de découvrir ses blessures, pas de les toucher. Lui s'efforce de la tromper en passant par des chemins qu’elle ne connaît pas, de la perdre. Parce qu’elle s’est construite sur une frontière la relation continue, un couloir frontalier sans portes ni désir réciproque. Silence. Elle lui parle d'Eden. « Il est passé, puis parti, j’aimerais qu’il repasse, même pour repartir. » Lui écoute peu, il n’est pas là pour ça.
L’après-midi commence quand ils sortent du café. Elle décide pour eux de s'éloigner du village et de marcher un peu dans la pinède qui surplombe, celle des courses d’orientation et des chênes d'écoliers, aujourd’hui épuisée par les percées de lumière, la chaleur, les ailes des cigales. Elle se souvient peu de l’endroit où ils avaient déposé, avec leurs mains d’enfant, les glands prometteurs. Mais aucun arbre ne lui semble pouvoir être de ceux-là. Elle le lui dit. Il lui dit qu’il écrira pour elle un roman bien pessimiste, comme elle les aime. Ils marchent et montent, la largeur d’un bras les sépare. Et comme à son habitude, elle trébuche, les racines ne manquent pas, et tombe. Il l’aide à se relever. Il lui dit qu’il aime sentir sa peau sous son doigt, celui qu’il s’est coupé l’autre jour en essayant d’enlever la glace du congélateur. Ils continuent à monter. Et quand il l’emmène contre le pin elle ne sait pas encore rester hors de portée, l’attente impose un silence malsain, concession labiale, comme si l'arbre à portée de corps se faisait témoin du mal. La main soulève, première entrée, elle capitule, de l’air, de l’eau, pas le temps, une autre haleine, et maintenant parfumée de passivité splendide elle le laisse se démener quand se démène en elle cette tendance à croire qu’on la vole et souille sans son consentement.
Ils continuent à monter. Puis recommencer, autre chêne pour témoigner, un peu plus tard, un peu plus loin, ou plus près, et propre, restons-en là, et non, un autre arbre encore et la main entre et l’autre, se rapproche, tâtonne, elle voudrait rougir de son dégoût, vomir ses mains, ses doigts, ne plus le voir, essayer de ne pas tomber, incapable de s’accrocher à son corps glissant. Elle se souvient de la froideur de sa bouche en buvant de l’eau glaciale, chaleur, d'avoir voulu le reconnaître au soleil. Elle lui dit : « Je ne veux pas être la poupée de vos soulagements. » Puis les percées de soleil entre les arbres ébranlés par le vent éteignent plusieurs fois la lumière, tandis que lui clignote ingrat et lubrique, toujours dans ces moments où sa main sur son bras lui semble la frontière encore jamais franchie. Il ne sera jamais son homme de la mer.
Elle sourit parce que la sortie devinée s’offre sans la chercher, le cercle s’ouvre, il suffit de pouvoir sortir, attraper le moment où savoir rester hors de portée de ce doigt, prendre congé, et choisir de se promener seule, de ne plus tomber, de sentir la lettre oubliée dans sa poche, chaude, rouge, bruyante, et de ne croiser personne jusqu’à ce garçon.
« Vous avez l’air perdu, madame, vous êtes perdue ? » Il porte en bandoulière un sac en cuir, lui impose ses yeux noirs et sa bouche avenante. Elle détourne les yeux, ne sait pas répondre. Lorsqu'elle recentre son regard il n'est déjà plus là. Elle choisit de continuer à monter, la boîte est sûrement plus haut. Bien tôt, derrière le grésillement des insectes elle discerne un murmure humain, qu'elle décide de rejoindre.
Une clairière ? Dégarnie de pins. Debout, assis, disposés comme sur le plateau d’un jeu sacré, des hommes qui écoutent, leurs corps habillés et cuisinés par le soleil, des hommes qui écoutent un homme, un homme en bras de chemise qui lit, au centre. Elle avance, circule entre les pieds nus et les pieds timides, les jambes tendues, croisées, les jambes écartées, les bras qui s’étirent, les bras croisés, ceux qui soutiennent leur joues fatiguées, ceux que soutiennent leurs cuisses estivales, entre les mains qui pendent, les posées, les empochées, les libres qui effleurent, entre les arrogantes proéminences adamiennes, entre tous types de nuques, et puis leurs cercles. Entre les peaux, entre dans leur cercle. Soudain, la voix diffuse de l’assemblée devient la seule voix du lecteur.
- « Je ne sais plus depuis combien d’heures je me suis endormie la tête la première dans le sable. »
Elle rougit, reconnaît ses mots, veut les empêcher.
- « Le sable de la fuite, de l’isolement, du sommeil ».
Elle ne peut pas crier, comme dans certains rêves.
- « Aujourd’hui le ciel est blanc et je me suis réveillée. »
La lettre ne chauffe plus sa poche.
- « Et la peau encore sableuse, je veux dire à l'homme mon réveil. »
Elle aperçoit le garçon croisé dans la pinède près de l’homme qui replie la feuille dérougie et la lui rend. Aussitôt le noir de ses yeux se rapproche. Il lui dit qu’il va mettre la lettre dans le grand coffre, que prévenir est déjà faire venir. Elle lui dit qu'elle aimerait que leur royaume ait un goût sucré, un peu comme familier. Il s'échappe encore. Aucun des auditeurs ne semble la voir. L’homme lit une autre lettre mais elle ne peut plus l’entendre, la voix redevient diffuse, incompréhensible, comme celle de certaines foules.
Elle décide de rentrer. Elle détourne les yeux de l’assemblée, et manque de trébucher encore, continue à marcher, bute de nouveau contre une racine échappée du sol et tombe comme au fond d'un puits, chute.
Réveil. Dans sa robe trop grande pour elle seule, à quatre pattes sur son lit de chaleur elle renifle ses draps, un peu partout. Alors Eden en bras de chemise ouvre la porte, sourit. Elle parle. Il ne répond pas.
Il prend les talons noirs neufs dans le tiroir du bas au pied du lit de chaleur blanche, du lit défait d’une place où elle renifle à quatre pattes, le drap rouge et humide, la fenêtre ouverte, les volets baissés à trois quarts, la stridence des cigales. Il lui empoigne ses pieds nus, lui met les talons, lui dit de jouir de leur pression d’être serrée, la prend par le bras, lui serre le bras, lui serre le bras trop fort, lui fait mal. Alors il essaie d’entrer dans sa robe trop grande pour elle seule, sa robe simplement noire, l’étire la déchire, elle n’essaie pas d’en sortir mais lui de la détruire. Alors on voit et têtes et bras et jambes, s’y battre, s’y débattre, l’indistinction de leurs corps, l’étreinte tentaculaire, antagoniste, les échines déployées, les ossatures tendues, les chairs désaturées, les bords noirs de l’image. Alors il lui crie qu’elle voit bien, qu’il n’y avait pas de place pour deux.
Une chasse d’eau chasse l’eau quelque part, la réveille. Dans sa chambre d'hôtel, celle depuis laquelle derrière les cigales, on croirait presque entendre la mer. Sur le lit blanc, défait, d’une place, contre la fenêtre, ouverte, son corps réveillé à l'heure dite. Elle se redresse, enfile les talons noirs, neufs, jouit de leur pression, d’être serrée.
Sur le seuil de la porte elle relève ses cheveux en chignon, y place le détail rouge ici ou là, qu'importe. Elle sort.
4ème nouvelle lauréate
Trente six heures dans la vie d’Anne Vincker
de Laurence Allard
Comme d’habitude, Anne monte dans le bus à l’arrêt de l’avenue Brossolette. Après son dernier cours de la journée, elle a passé plusieurs heures à la bibliothèque, peaufinant quelques recherches pour un article. Le jour finit déjà. Elle se hisse dans le véhicule où s’entasse une foule d’étudiants, pour la plupart les yeux rivés à leurs écrans, un casque audio vissé au crâne. Elle valide sa carte magnétique sur la machine placée à côté du chauffeur et s’installe juste derrière lui sur un des rares sièges restés libres, coincée entre la travée centrale et une jeune femme aux cheveux corbeau, qui mâche du chewing-gum ostensiblement. Anne enseigne à la faculté de lettres d’Aix-en-Provence et a toujours vécu à Marseille. Tandis que le car s’engage sur l’autoroute, elle pense qu’il y a plus de vingt ans qu’elle fait ce trajet. Sa vie a pris un rythme pendulaire, un cadencement régulier. Quelque chose comme un battement de cœur excessivement lent, deux pulsations par jour : aller-retour, matin-soir, Marseille/Aix, Aix/Marseille. Elle a quarante-deux ans, cette oscillation entre les deux villes a débuté lorsqu’elle s’est inscrite comme étudiante en Deug et ne prendra sans doute fin que le jour de sa retraite.
L’autocar s’insère dans la circulation poussive du début de soirée. Un flux continu de voitures roule doucement à côté d’eux et plus loin devant, leurs feux arrière rougissant par intermittence. Elle tourne la tête vers la vitre, ignorant la fille aux cheveux corbeau qui mâchonne de plus belle et compose frénétiquement des sms. Le ciel a pris une teinte rose foncé, rouge par endroit, avec des traînées de nuages sombres, d’aspect un peu sale. Anne se sent soudain comme enfermée, oppressée par l’espace confiné du car et dans le même temps, incroyablement lasse.
« Vous devez être épuisée, en ce moment, non ? ». Le docteur Jounard l’avait interrogée lors de la dernière consultation, en la regardant par-dessus ses lunettes. « Madame Vincker, je vous ai déjà dit, il y a quelques mois, qu’il faudrait peut-être envisager une opération. Il faut maintenant faire un scanner, avait-il ajouté, vous devriez un peu lever le pied en attendant, vous comprenez ? ». Elle avait compris, bien sûr, même si elle préfère pour le moment penser à autre chose.
Plus tôt dans la journée, un nom a attiré son attention sur le programme d’un petit colloque, qui aura lieu le lendemain dans le département d’études voisin : Macha Birlis. Anne est restée immobile pendant quelques minutes, les deux mains posées à plat de part et d’autre de la feuille, le regard fixé à un point sur le mur d’en face. Elle a ensuite abandonné le papier sur une table pour aller retrouver ses étudiants.
Quand elle arrive chez elle, la nuit est tombée. Elle va dans la salle de bain sans allumer les lampes et se passe de l’eau sur le visage. La pénombre la dispense de bien voir son reflet dans le miroir au-dessus du lavabo. Elle distingue à peine ses yeux, creusés dans son visage. Elle va se coucher presque aussitôt.
Le lendemain, les longs nuages informes de la veille ont laissé place à un ciel d’azur intense, balayé de mistral, aveuglant. Anne a quitté Marseille en fin de matinée et à cette heure-là, le car est presque vide. Elle se laisse aller sur son siège et se remet à penser à Macha Birlis. Après avoir commencé des études de littérature en Grèce, Macha avait obtenu quatre ans plus tôt une bourse pour venir en France. Après deux semestres à Aix, elle était partie, un peu brusquement, commencer sa thèse dans une autre université.
Pour la première fois depuis longtemps, Anne repense à un entretien qu’elles avaient eu quelques semaines avant son départ. L’étudiante l’avait sollicitée au sujet d’un travail à rendre pour la fin du semestre. Elles avaient passé presque deux heures ensemble sans qu’elle lui parle de son projet. Pourtant, quelques jours après, Anne avait appris par son collègue que Macha quittait Aix. Assise dans le car, le front collé à la vitre, elle se souvient de sa surprise alors, de la tristesse inattendue qu’elle avait éprouvée à l’annonce de ce départ.
Le jour de leur entretien, elle avait remarqué les lèvres fines de Macha, la ride d’expression plus marquée sur le côté droit, ses yeux noisette. La jeune femme lui avait parlé de son travail en s’interrompant souvent, comme indécise. Elle la regardait à la dérobée. Anne gardait ses distances : Macha était une étudiante parmi d’autres.
Une étudiante parmi d’autres, dont Anne, trois ans plus tard, se remémore avec une acuité troublante la voix grave, légèrement voilée, les petits défauts de prononciation. Et aussi sa façon de se tenir, le menton dans la main droite, prenant des notes de la main gauche ; ou encore sa silhouette tranquillement debout au milieu d’un groupe de jeunes gens sur le parvis de la Faculté (on voyait nettement la courbe parfaite de ses épaules).
Arrivée à la fac, Anne se rend au bureau des enseignants et consulte le courrier qu’on a déposé dans sa bannette. Il y a une feuille blanche qu’elle déplie, quelques mots griffonnés au stylo bille : « Je suis de passage ici pour participer au colloque. J’ai pensé que je vous croiserais peut-être. Bien à vous. Macha Birlis. » Après l’avoir relue une seconde fois, elle replie soigneusement la feuille et la glisse dans son sac.
Anne passe le reste de l’après-midi à régler des formalités en vue de la prochaine rentrée universitaire. Elle reçoit deux étudiants dans le bureau qu’elle partage avec son collègue et va rendre des ouvrages. En quittant la bibliothèque, elle hésite.
Le colloque doit être en train de s’achever dans le bâtiment voisin.
Sur le parvis, devant les portes vitrées qui donnent sur le hall d’entrée, des grappes de gens avec des documents sous le bras ou des cartables à la main se délitent doucement, certains s’éloignant après avoir serré quelques mains, d’autres lançant des « bon week-end! » à la cantonade. Anne allume une cigarette en pensant à Jounard qui le lui a formellement interdit des années auparavant. Elle salue d’un signe de tête distrait quelques enseignants qu’elle connaît, fait encore deux pas en direction des portes vitrées, puis se ravise et fait demi-tour comme pour s’en aller. Macha est debout face à elle.
- Bonjour, fait-elle en lui tendant la main.
- Macha.
- J’ai cru que je vous avais ratée ce matin. Je vous ai laissé un mot dans votre bannette, ajoute-t-elle platement.
Elles sortent ensemble de l’enceinte de la fac, échangeant au sujet de leur travail respectif des phrases brèves, qui n’engagent à rien. Macha demande si Anne fait toujours le trajet vers Marseille. Elle y va aussi et lui propose de la ramener. Dans la voiture, Anne découvre que la ride d’expression plus marquée au coin des lèvres de la jeune femme est en fait une fine cicatrice. Glissant la main dans son sac, elle éteint son téléphone portable.
Le silence s’installe. Les sujets du colloque, de la thèse de Macha et des cours qu’Anne donne ce semestre ont été vite épuisés. Le paysage, les immeubles, les zones commerciales, les collines, se détachent dans la lumière du soir de façon presque irréelle. Le vent a rendu le ciel transparent. La circulation est dense, comme tous les soirs, mais fluide. Anne a l’impression que le véhicule glisse, léger, autonome, doté d’une vie propre. Elle contemple le profil concentré de Macha en train de conduire, les mèches de cheveux échappées dans son cou, la peau de son front légèrement brunie (elle doit aimer passer du temps dehors, à lire au soleil), la marque au coin de ses lèvres, qu’elle a envie de caresser du bout des doigts. Elle a brièvement la sensation de flotter ; sa fatigue reflue. Macha tourne de temps à autre la tête en souriant vers sa passagère.
Quand la voiture s’arrête en bas de l’immeuble, Macha lui frôle le bras et ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais Anne l’en empêche en posant enfin ses lèvres sur la fine cicatrice.
Anne se réveille la première. La chambre est encore dans l’obscurité et pendant un long moment, elle laisse ses yeux s’y habituer jusqu’à distinguer de plus en plus nettement la forme du corps de Macha endormie. Elle se lève, remonte doucement le drap sur son épaule dénudée et va dans la cuisine préparer du café. La cafetière italienne commence bientôt à chuinter, puis émet un bruit de percolateur qui diminue lorsque qu’elle baisse le feu jusqu’à l’éteindre complètement. L’odeur du café se répand. Elle ferme les yeux. Comme beaucoup de choses, le café lui est en principe interdit, mais elle aime ce parfum chaud, presque palpable, qui réveille la sensation du liquide brûlant sur sa langue. Elle allume son téléphone et écoute la boîte vocale. Jounard, le cardiologue, a laissé un message la veille au soir. Les résultats du scanner sont préoccupants : il faut opérer rapidement. Il lui demande d’en parler avec ses proches et de le rappeler dès le lundi à son cabinet.
Anne repose le téléphone sur la table de la cuisine et retourne dans la chambre. Elle s’allonge sur le dos, une main posée sur les yeux. Macha se redresse sur un coude.
- Tout va bien ?
- Oui, ça va, répond Anne avec un sourire. Un peu fatiguée ces derniers temps, mais ça va vraiment bien, je t’assure.
La prenant doucement par la nuque, elle attire la jeune femme vers elle.
Après un moment, Macha, qui a posé la joue sur la poitrine d’Anne, murmure : « j’aime ça, écouter battre un cœur ».
5ème nouvelle lauréate
Le Vallon du silence
de Hélène Katsaras
On a descendu les rues maigres qui bouclent dans la roche en direction de la mer. Toi devant, moi à ta suite. La pluie nous crachotait au visage, le vent nous rebattait les oreilles. On n’entendait que ça, le bruit de nos pas sur les marches et le vent qui bramait par rafales dans les ruelles cabossées. A part ça, pas un mot. Le vallon désert.
On s’est arrêtés en bas, face à la mer d’encre toute froissée dans le vent crétin. Ça faisait une drôle de lumière anthracite au-dessus de nos têtes, un ciel gris carlingue avec des traînées de nuages en acier fuselé.
Tu as fermé les yeux, pris une grande respiration d’air trempé.
Deux trois gabians surfaient au ras de l’eau, se donnaient la chasse pour jouer, leurs cris comme des rires caustiques, aigus. Exaspérants. Une mèche de tes cheveux est venue me frôler le front. J’ai voulu la replacer dans ta chevelure, sans le vouloir j’ai agrippé ta joue. Tu t’es tournée net vers moi et ton regard, en un revers, c’était une flambée de reproches. Et du dégoût aussi.
Quand tu es rentrée ce matin aux premières lueurs du jour, traits creusés par la nuit blanche et paupières empâtées, j’étais affalé dans le canapé. Sur la table basse du salon, la bouteille de whisky vidée au goulot, et en boucle sur la platine In the Mood for Love. J’avais passé la nuit à dire dans ma tête des choses farouches et vagues et graves, j’avais regardé des idées fiévreuses et loufoques s’entortiller en pagaille autour d’un fil que j’avais tendu sans cesse, des pelotes, des bobines de mots sans écho. Ça m’avait embarbouillé tout du long, ça venait d’un endroit noueux et lointain d’où j’ai perdu toutes les rondeurs de notre vie, Laura, un moment déjà que ça dure et que ça dérape.
Tu as retiré ton trench-coat, dénoué ton écharpe. Accroché le tout au porte-manteau. D’un jeu de pied, tu as quitté un escarpin. Puis l’autre.
– C’était bien ? j’ai fait.
– Mmm.
– On va faire un tour ? J’ai besoin de prendre l’air.
T’as pas dit non, t’as pas dit oui non plus. Tu as remis ton trench-coat, résignée. Enroulé ton écharpe autour du cou, enfilé des bottes de pluie.
Dehors ça pleuvait, des petites gouttes minus et entêtées. Le truc bien dense qui imprègne tout, colle les fringues à la peau, les rend adhésifs. Une saleté de printemps qui se donne des airs ténébreux d’hiver qui veut pas en finir.
On a marché droit devant sur le boulevard. On n’était que toi et moi, avec au milieu un silence volumineux comme un gros chagrin d’écolier qui appuie sur le cœur. On est passé devant une brasserie et tu as dit : « Je me ferais bien un brunch cola. » Tu as poussé la porte, j’ai suivi. Tu t’es installée au fond de la salle, immense. Derrière le comptoir, un gars ensommeillé essuyait mollement des tasses à café. A l’autre bout, deux hommes jouaient aux cartes.
– Faut que tu me dises Laura.
– Quoi ?
– Ce qui se passe.
– Mais rien, il se passe rien Clément.
– Tu vas me quitter ?
Et tes yeux sont partis dans le flou. Une lourdeur m’a empoigné aux épaules, je me suis senti disparaître, tout liquide, tout écrabouillé sous la machine du temps qui nous écroule et l’amour dedans qui ne résiste pas à tout ça. L’amour sans grand drame, ni joies véridiques.
Derrière toi, au mur, un écran géant. Allumé, son coupé sur un clip où une fille en jupette vinyle frétille comme un petit poisson prêt pour la friture. Elle brimbale son corps autour d’une barre fixe dans un wagon du métro de Londres ou de New York. Elle en fait des tonnes. Sans le son, ça fait grotesque, ça ressemble à une maladie nerveuse et forcenée. La blondeur lisse peroxydée, les yeux d’un bleu savon, corps de poupée plastique, bouche écarlate qu’elle ouvre grand, et les hanches qu’elle torsade avec des minauderies de désir industriel. Quelques gars autour d’elle, torses bombés, petits et grands pectoraux bien en devanture, fringants dans leur short moulant et leur body rayé. Ils exécutent des figures compliquées, des saltos extravagants dans l’habitacle exigu. Une prouesse. Et sur les banquettes autour, en rang d’oignons, il y a des personnes, des hommes des femmes des anonymes qui les regardent sans les voir, des gens comme toi et moi, des gens de tous les jours qu’on voit dans toutes les villes du monde aux heures de pointe, des gens qui puent le quotidien et les emmerdes de la vraie vie. Accolés à ces créatures pasteurisées, c’est saugrenu.
– Faut que tu me dises Laura !
– Mais quoi ?
– Ce qui cloche, ce qui cloche vraiment.
– Tu me fatigues, Clément, je suis fatiguée. J’ai pas trop dormi cette nuit.
– Moi, pas du tout.
– Tu m’as attendue ? T’as fait quoi ?
– Je t’ai attendue.
– Fallait pas, je t’avais dit de pas m’attendre.
Tu as plongé ta tartine dans le coca. Le beurre glacé a fait des petits cristaux jaunes qui sont restés collés au verre. Tintement frêle des glaçons qui se donnent l’accolade dans le fond.
Il faut que tu saches Laura que j’ai traqué l’ennui dans tes yeux, le mépris sur tes lèvres, le vide et la banalité en plein cœur. J’ai vu comment tes regards sont devenus fuyants, effilés de refus, faufilés de rancunes muettes. Et cette poisse de silence partout entre nous, la glue des équivoques, les griefs bourbeux. J’ai vu aussi comment tes caresses sont devenues pierreuses, abrasives. J’ai vu comment tu me repoussais, indolente et tout le temps, quand je cherchais tes hanches ton ventre tes seins. J’ai vu comment tu t’enfermais des heures dans la salle de bain, à faire couler l’eau, les canalisations qui glougloutent à plein tube. C’est ton corps que tu laisses pleurer sous cette eau-là, dis Laura ? Et pour le laver de quoi ? Et puis j’ai vu comment tes bras se sont éteints, sont devenus inertes au coucher dans des étreintes molles. Où allais-tu Laura quand tu fermais les yeux sur ton sommeil ? Sur quelles rages, quels dégoûts de moi tu te calais pour me repousser comme ça et sans cesse ? De quelles répugnances de moi tu avais cousu ton corps pour l’emmailloter d’un tel tissu de silence ?
Quand on est sorti, la pluie cisaillait fort. Le vent s’était amplifié et même pas l’ombre d’une éclaircie dans cette brouillasse pour faire trouée claire et lumineuse, effacer d’un grand coup de brosse toutes nos maussaderies, Laura, et mes humeurs déglinguées.
On a poussé nos semelles tout en bas, dans le vallon qui fait balcon sur la mer. Là où les maisons s’accrochent par grappes à la roche qui valdingue en chute libre. Un volet a claqué, une branche a craqué et mes idées loufoques me sont remontées du fond de ma nuit passée, des mots de nuit parce qu’il fait nuit depuis longtemps déjà, et hier soir et ce matin. Il fait nuit tout le temps, il fait silence sans relâche, il pleut sans discontinuer, et cette odeur de pluie de tourbe et de chose végétale et toutes ces lunes et ces soleils qui chialent, toute cette flotte qui nous croule dessus et ne décrasse de rien.
Ce que t’étais belle dans le vallon désert, ce matin ma Laura. Une beauté toute simple, pas extravagante, toute bouleversante pour moi. Ça m’a mordu l’âme de te regarder comme ça, ta tignasse qui fait le tourniquet dans le vent du vallon, s’éparpille partout au-dessus et autour de ta tête, on aurait dit une brassée de lianes en exercice. Putain, ce que t’étais belle. A en tomber, Laura, à s’en rompre les os, à s’en briser les dents. La vie.
Alors vrai que j’ai voulu te toucher. Te tenir. Et sans le vouloir j’ai griffé ta joue. Pardon si je t’ai fait mal ma Laura, j’ai voulu te prendre et te garder fort contre moi, j’en crevais d’envie, et aussi de te dire Laura : Qui t’aimera comme moi je t’aime, qui ? Mais entre nous, cette zone interdite qu’est ton corps, une zone de turbulences insonores, et ce silence qui infuse dans tous nos périmètres et me hurle qu’au-delà de cette limite mon désir n’est plus valable, mon désir est illicite.
Sur un rocher tout près, un gabian était recroquevillé dans ses plumes qu’il mordait. Il piquait dedans par à-coups de bec saccadés.
– Qu’est-ce que t’as ? je t’ai demandé.
– Rien, tu as répondu.
L’oiseau a tourné la tête, nous a fixés d’un œil torve par-dessus son aile, ses plumes tremblaient sous la pluie.
– Pourquoi tu mens ? j’ai crié.
Et j’ai avancé d’un pas vers toi.
– Je mens pas.
Et toi, tu as reculé de deux.
– Faut que t’arrêtes maintenant, Laura ! Faut que t’arrêtes ce bordel !
Et tout ça s’est passé si vite, ma Laura. Tu as voulu décamper et puis rapido, tu as trébuché. Rapido, je t’ai rattrapée. Mais parce que fallait pas…
Fallait pas qu’ici sur cette corniche tu me dises « Lâche-moi ! », fallait pas que tu cries « Dégage, connard ! »
Fallait pas que tu te mettes à courir sous la pluie et sur les rochers, à bondir d’un pied sur l’autre dans le dédale des rues, à grimper les marches puis les dévaler vers le bas, en sens contraire, d’un côté, de l’autre, et moi à te chercher, à te courir derrière haletant à te vouloir et les rochers, l’escarpement, la glissade et se relever, se remettre à courir, remonter vers là-haut, la route. Et nos souffles hors d’haleine, ton corps hors d’atteinte et ce sol qui s’est vrillé sous tes pas, les miens, nous a fait cavaler, sauter dans des flaques, trébucher sur des bosses, ce sale sol qui nous a fait zagziguer, hachurer l’espace.
Mais parce que fallait pas partir par là, fallait pas crier au secours, fallait pas avoir peur, ni perdre ton écharpe dans le vent, fallait pas revenir sur tes pas, la ramasser par terre dans la flaque de mer la flaque de pluie de larmes, la remettre mouillée à ton cou, fallait pas que la mer soit si grise ce matin, fallait pas qu’il fasse si moche, si gris, si froid.
Fallait pas non plus toutes ces maisons abandonnées, les cabanons vides, leurs volets clos, les jardins en friche, habités par rien d’autre que le vent et la flotte. Fallait pas ce vallon désert, glacé, ce coin fantôme imbibé de silence, enchevêtré de coulures, fallait pas toute cette mer qui s’ébroue sous le ciel dézingué, tout ce vent qui beugle, époumone du silence à tue-tête, cette désolation. Fallait pas tout ce décor et toi dedans, vivante.
Laura ma Laura, fallait pas hurler, puis t’agripper à moi et demander soudain pardon. Fallait pas faire semblant de vouloir rester, de revenir, de m’aimer encore. Fallait pas cette peur dans tes yeux, la course et l’effroi qui avaient fait déraper ton rimmel, l’avaient barbouillé partout sur le tour de tes yeux et sur tes joues, en avaient fait couler des larmes noires.
Fallait pas non plus qu’en moi, ça saute de tension et mon cerveau qui se pète en deux, en cent, en morceaux.
Fallait pas tout ça. Fallait pas.
C’est parce que tout ça il fallait pas, c’est parce que toutes ces choses que je voulais te dire, par exemple te prendre par les épaules, mais tout gentiment, sans te brusquer tu vois, mais ton écharpe qui me gênait, je voulais ta nuque frêle, ton cou chaud et me blottir dedans, c’est parce que j’ai voulu te la retirer, te l’enlever ton écharpe, et c’est parce que tu t’es débattue que j’ai tiré dessus, qu’elle s’est nouée coriace, c’est parce que je cherchais à la retirer plus vite et complètement, c’est parce qu’elle me gênait, tout ça, que j’ai tiré fort dessus, très fort, que j’ai serré, serré, longtemps, c’était pure nécessité.
Et puis fallait pas que ton visage devienne bleu, ton sur ton sur la mer, que tes yeux se révulsent, orbites de nacre, et roulent billes en tête dans un coin où je n’étais pas, où tu ne me voulais plus, fallait pas non plus que tu me tires la langue, fallait pas cette grimace bouffonne et cette écume au coin de tes lèvres pour me dire, me faire comprendre que de toute façon tu partais, que de toute façon tu me quittais.
Et puis, fallait pas que tout à trac, la lumière reflue de tes yeux.
Et cet autre silence dans ton corps, définitif.
Juste te dire, ma Laura Laura, fallait pas.
Fallait pas tout ça.
Invitation Conférence de presse du 7è Festival du Livre de la Canebière
CONFERENCE DE PRESSE > JEUDI 21 MAI 11H00
Espaceculture > 42 La Canebière 13001 Marseille
Couleurs Cactus a le plaisir de vous présenter le
7è Festival du Livre de la Canebière
Désir(s)
du 3 au 7 juin 2015
Marseille – Square Léon Blum 1er
Parce que nous croyons en l'avenir, en toutes ces petites âmes créatrices, notre programmation 2015 sera emplie de désir(s). Source de créativité, de souffrance, le désir nous permet de porter des projets, d'avancer, de rêver, mais il engendre parfois aussi le désordre, l'échec, la frustration... Irrationnel, il est ce qui nous fait humains, réveillant nos rêves et nos fantasmes. Les écrivains, les artistes, les comédiens, ont le don de mettre à nu cette part de nous, cette intimité qui nous relie aux autres.
Ce 7è festival laissera libre cours à l'expression et à la mise en mots des sensations, des troubles et des frissons de chacun. On goûtera au plaisir d'écrire, à la richesse de la langue française mise en valeur comme chaque année par des auteurs, éditeurs, libraires, associations, artistes, amateurs de mots savoureux... venus de tous horizons.
Pour les jeunes, nombre d'ateliers et de propositions pour faire naître des désirs d'écrire, d'échanger, de partager, notamment des réflexions historiques et philosophiques avec Gaston-Paul Effa, une lecture théâtrale de Sabine Tamisier et des ateliers d'écriture. Des projections de courts-métrages issus du FEStival PAnafricain du Cinéma de Ouagadougou, ainsi que des expositions souligneront les liens entre les arts. L'installation photographique de Doriane Souilhol sera visible à Espaceculture du 21 mai au 20 juin, le travail de l'illustratrice jeunesse Fanny Ducassé à la librairie Maupetit du 25 mai au 20 juin, et les illustrations et caricatures de Red!, notre artiste en mini-résidence lors du Festival, seront exposées au CRIJ du 2 au 12 juin. Libar M. Fofana sera lui aussi accueilli en mini-résidence sur le Festival. Les créations issues de ces mini-résidences donneront lieu, comme chaque année, à une publication dans la collection « À vif » éditée par les éditions Couleurs Cactus.
Au programme, pour l'amour des mots et de la diversité des voix, des rencontres littéraires avec Marie Neuser, Lamia Berrada Berca, Wassyla Tamzali, Laurence Vilaine, Aurélie Charon, Wilfried N'Sondé, Léonora Miano, Silex, Axelle Jah Njiké ; de la poésie, avec la revue Phoenix, du théâtre avec un cabaret décalé, Chroniques d'une croqueuse, des balades littéraires, avec Bénédicte Sire, un micro-trottoir de Pabé Barron et Halidi M’Sa… viendront élargir nos perceptions de la littérature et des possibles artistiques. Du slam aussi, pour s'imprégner d'une langue vivante portée par Julien Delmaire et Insa Sané. En hommage à Salim Hatubou, une nuit du conte pour rêver autour des Mille et une nuits avec Cahina Bari, Catherine Beysard, Mariam Kone, Pierre Rosat, Jorus Mabiala.
Et puisque, selon les mots de Léonora Miano, les « sentiments et les vibrations de la chair sont ce qu’il y a de plus universel », venez, succombez à la tentation !
Contact presse > 06 60 39 65 54
Couleurs Cactus Cité des associations 93 La Canebière 13001 Marseille
Tout le programme en détail d’ici quelques jours sur www.couleurs-cactus.com
Des vagues des désirs, un atelier d'écriture nomade, du Panier à la Joliette
Depuis 3 ans, Esther Salmona anime nos ateliers d'écriture nomade. Après avoir arpenté les rues, les boulevards, les impasses des 1er et 7è arrondissements, les écrivants découvriront cette année les quartiers du Panier, du Port, de la Joliette. Nous prendrons appui sur les places qui jalonnent le littoral nord du Vieux Port à la Gare d'Arenc, sur ce qu'est la place dans le langage urbain et dans ses sens plus larges. Autant de lieux d'échanges, de carrefours où le désir peut naître, vivre, bifurquer, partir ou revenir, par vagues, puisque la mer est là, juste à côté.
Au terme de ces ateliers, une restitution publique aura lieu lors du 7è Festival du Livre de la Canebière (7 juin 2015) et un recueil de textes sera édité dans notre collection « Vu d'ici »
Dates : les 2, 9, 16, 23 et 30 mai et le 7 juin 2015
Durée : 3 heures, de 10.00 à 13.00
Nombre de participants : 15 maximum
P.A.F pour les 6 séances : 48 € / 30 € ou 10 € / 8 € par séance
Réservation : couleurscactus@yahoo.fr // 06 60 39 65 54
Café / Dédicace avec Marie Neuser samedi 25 avril 10.30
Couleurs Cactus vous invite à rencontrer Marie Neuser
et à papoter, jacasser, ...
autour d'un café
ce samedi 25 avril de 10.30 à 12.00
au Comptoir Dugommier - 14 Bd Dugommier 13001 Marseille -
Marie Neuser est auteur de romans noirs. Professeur d’Italien à Marseille, passionnée d’art, de langue et d’écriture, elle a séduit l’édition avec ses deux premiers romans : Je tue les enfants français dans les jardins (L’écailler, 2011), vainqueur du Prix des médiathèques de Manosque, et Un petit jouet mécanique (L’écailler, 2012), deux drames psychologiques intimistes, mortels, tenus par une langue, un style et un rythme maîtrisés de bout en bout.
Marie Neuser vous livrera sa dernière nouvelle "Tant qu'on a une mer", objet d'une commande dans le cadre du Festival du Livre de la Canebière en 2014.
Les éditions Couleurs Cactus et la librairie Gibert Joseph vous attendent nombreux !
Désirs inavoués > un atelier d'écriture qui démarre ...
Désirs inavoués ...
C'est un cycle de 6 ateliers d'écriture animés par Sophie Vallon qui a démarré mardi 10 mars.
Au coeur de ce projet, un retour en enfance. Des objets, des photographies, apportés par les participants, servent de point de départ à l'écriture. Des lieux incongrus pour écrire (librairie, magasin de jouets, centre de loisirs...) vous font entendre les cris, les paroles, les silences... vous ramènent à des moments vécus ou espérés, à des espoirs déçus ou des petits moments de bonheur oubliés. Nous sublimons le banal et laissons une large place à l'affect, à l'intime.
Prochaines dates : les 31 mars et les 4 et 11 avril
Séance du 10 mars
Voici quelques textes écrits par une des participantes, Sabrina Robert
"Le désir pour moi ? Inavoué ou assumé, fantasme ou réalité, le désir est pour moi ce qui fait vivre autrement. Des envies, des projets, des rêves qui cassent le monde tel qu'il est pour en faire ce qu'on veut. Il peut prendre la forme d'un caprice d'enfant non réalisé ou être une envie plus animale et plus secrète. C'est comme un moteur intérieur."
Désir d'enfant ...
"Ma jupe me gêne. Je la mets très souvent mais elle me gratte, elle s'envole parfois et j'ai toujours peur qu'on voit ma culotte.
Surtout quand Franck n'est pas loin.
Franck c'est le copain de mon grand frère: il est grand, il se tient toujours très droit comme s'il savait toujours ce qu'il faisait, il est beau.
Moi j'ai 10 ans, alors je sais bien que je n'oserai jamais lui parler. Mais parfois quand je le regarde, il me regarde aussi. Et je me dis que j'aimerai bien être dans ses bras.
Ce serait comme un prince venu rien que pour moi, quoi!"
... et d'adolescente.
"Avec Agnès, on partageait tout. On nous appelait même les soeurs jumelles, alors que l'une était rousse et l'autre brune comme du charbon. Il faut dire qu'on était en phase toutes les deux: le lycée n'était pas notre première passion et on prenait beaucoup de plaisir à animer les cours à notre façon. On faisait des conneries ensemble, on était punies ensemble.
Et on s'en félicitait, forcément.
C'est aussi à ce moment-là que j'ai découvert que je plaisais parfois, j'étais courtisée par les garçons. Premiers baisers, premières caresses, mes sens s'éveillaient. Au fond, j'avais un peu peur mais je me sentais différente et je crois que j'aimais ce qui se passait.
Agnès moins.
Un jour, chez elle, sur son lit, au cours d'un papotage dont on avait le secret, elle me dit qu'elle n'était rien sans moi.
Et puis les vacances suivantes, sa correspondance régulière, assidue et abondante.
Je ne voyais rien venir, ma tête était tournée vers mon flirt du moment et ses "merci d'exister" à chaque fin de lettre ne m'alertaient pas.
Puis vint la rentrée. Et la déclaration d'Agnès. Enflammée. A mon égard. Consternation."
Séance du 17 mars
1/ Promenade dans les rayons de la librairie jeunesse chez Maupetit:
"Drôle histoire de loup: il a des petites oreilles et un très long nez. Il n'a pas une tête à croquer les enfants, on dirait qu'il est triste.
Il y a beaucoup de livres ici, de toutes les couleurs.
Un très grand dans le coin, avec une très grande girafe et des tout petits poussins qui lui grimpent dessus; ils prennent même une échelle tellement elle est grande!
Des coloriages avec des châteaux et des princesses, j'aimerai bien en avoir un comme ça. Je ne dépasse presque plus, alors j'aimerai bien l'essayer.
Et puis un tout petit livre en carton: à chaque page, on voit une grenouille qui pose des questions et un soleil qui a l'air très fatigué. J'aimerai bien savoir ce qu'elle veut cette grenouille."
2/ Regard d'un enfant de 6/7 ans sur ces livres:
"Il y a quelques jours, maman m'a lu un livre.
Au début, ça ne me disait rien: il y avait une immense girafe en couverture et plein de poussins dessus, je me suis dit que c'était une histoire pour Matthieu mon petit frère, pas pour moi.
Je suis grande moi, j'ai 6 ans 3/4 et je sais presque lire.
Alors, au début de l'histoire, je déchiffrais les mots pendant la lecture de maman. Il y avait des poussins et une girafe qui devenaient amis et je crois qu'ils partaient à l'aventure pour découvrir des nouveaux pays.
Je ne suis pas sûre parce qu'à vrai dire, je n'écoutais plus trop. Mais les images, elles, me plaisaient: en fait, c'était moi qui allais sur cette île déserte pour pêcher des poissons. Puis c'était moi la pirate qui essayais de ne pas faire couler le bateau. Et puis, deux pages plus loin, c'était encore moi qui trouvais le coffre et ses trésors cachés tout au fond. Quand le livre s'est refermé, croyez-moi, j'étais déjà loin.
Depuis que maman m'a lu cette histoire, je sais qu'un jour je partirai à l'aventure."
3/ Héros et anti-héros d'enfance:
Alice détective
Boule et Bill
Prince de Motordu
Astro le petit robot
Obélix et Idéfix
Tintin et le Capitaine Haddock
Sophie (des Malheurs de Sophie)
Tom-Tom et Nana
la sorcière dans "la sorcière habite au 47"
4/ Avec un ton d'adulte, raconter le rapport de cet enfant à ses héros:
" Elle était fascinée par ce livre. Elle me le réclamait tout le temps. J'avais essayé de changer d'histoire, mais rien à faire, il fallait au moins commencer par celui-là.
Rien que le titre: "la sorcière habite au 47". A dire avec le ton évidemment, mettre du suspense mais pas trop de tragique quand même. Il suffisait d'ouvrir le livre pour qu'elle se taise brutalement, presque religieusement. Elle s'asseyait alors dans son lit, droite comme un i, et m'annonçait avec un grand sérieux qu'on pouvait commencer. En fait, elle connaissait l'histoire par coeur et pouvait presque réciter le texte de tête. Mais elle voulait que ce soit moi qui lui lise, absolument. Comme si cette histoire nous reliait toutes les deux.
On se rendait alors chez cette voisine étrange, en prenant un ascenseur gigantesque qui avançait très lentement et qui grinçait horrrrrriblement. (oui, à prononcer selon elle comme ça: elle grimaçait alors de frayeur et de plaisir...)
On traversait ensuite le couloir maléfique pour pénétrer dans l'appartement de la voisine. La nuit tombait et on entendait que le cliquetis de la pendule dans le salon.
Plus les pages avançaient, plus elle se recroquevillait dans son lit et, lorsque la vieille dame étrange du livre proposait d'ouvrir le placard ensorcelé, elle se cachait les yeux sous la couette pour ne pas voir ce qui allait en sortir.
Comme à chaque fois, la voisine en sortait des bonbons et des gâteaux, et comme à chaque fois, elle récitait avec moi la dernière phrase en riant: "sapristi, j'ai cru que je vous avais fait peur!".
Qu'il est délicieux d'avoir des frissons..."
Séance du 24 mars
Lorsque je serai grande, je me marierai avec Dave parce qu’il est blond et qu’il a les yeux bleus. Et j’irai vivre avec lui sur son bateau, même si je n’aime pas les bateaux et je continuerai à écouter ses chansons en boucle.
Je serai maîtresse d’école, comme Maman. J’écrirai sur le grand tableau noir, je ferai des dictées et je distribuerai des bons points.
En tout cas, quand je serai grande, je ne serai pas comme eux. Je dirai toujours la vérité. Je ne mentirai jamais, même si ça fait mal. De toute façon, je sais bien que Maman elle va mourir, malgré leurs sourires, leurs paroles de réconfort, leurs « on fait comme si de rien n’était ». Tous des menteurs ! Ce soir, Maman va partir et je sais que je ne la verrai plus jamais et à cause de leurs mensonges, je ne peux même pas lui dire « au revoir ». Soi-disant, ils mentent pour me protéger, parce que je suis petite et que je ne peux pas comprendre. Tu parles ! Ils ont peur de ma réaction, c’est tout ! Mais moi, non seulement je n’aurai plus de Maman mais en plus, je n’aurai plus confiance dans ce que me dira Papa. Je ne croirai plus les docteurs, j’aurai tout le temps peur des hôpitaux. On ne soigne pas à l’hôpital, on ment.
Quand je serai grande, je dirai toujours la vérité, même si ça fait pleurer.
Magali François